« Des Méfaits du tabac par Ivan Nikotine » d’Anton Tchekhov



Traduit du russe par André Markowicz et Françoise Morvan
Avec Alain Bouchet et Gérard Pichon
Mise en scène Philippe Berling
Musique originale Gérard Pichon
Chorégraphie et maquillages Céline Sempiana
Production Taca et La Structure, avec le soutien de la ville de Semur-en-Auxois, de la Maison Févret et du festival Rabotage

Le spectacle a été créé le 17 septembre à la salle d'audience de l'ancien tribunal de Semur-en-Auxois et repris les 19, 20, 21 et 22 octobre.

Les prochaines dates du spectacle sont :
– dimanche 28 janvier 2018 à 17h au La Itou à Mont Saint Jean (Côte d'Or)
– mardi 31 juillet 2018 à Montbard
– vendredi 9 et samedi 10 novembre 2018 au Bistrot de la scène de Dijon

La pièce :

Madame Nikotine dirige une école de musique et un pensionnat de jeunes filles, dont la gestion semble douteuse. Pour récolter des fonds supplémentaires, elle sillonne le pays avec son mari, Ivan Ivanovitch Nikotine, qui fait une conférence sur... les méfaits du tabac. Dès le troisième mot, la conférence dérape. Monsieur Nikotine prend la tangente et sort tout ce qu'il a sur le coeur depuis tant d'années jusqu'à finir par réussir à dire en latin « dixi et animam levavi » (« j'ai dit et j'ai soulagé mon âme »).

Comme quoi la tangente est le meilleur chemin pour arriver au but. Monsieur Nikotine s'est pris lui-même pour sujet de sa conférence et découvre sous nos yeux qu'il s'empoisonne la vie tout seul.

Comme dans un certain nombre de plus ou moins vieux couples, l'exécrable et burlesque relation de Monsieur et Madame Nikotine est tissée d'indéfectibles nœuds étroitement serrés, modelant les montagnes russes de leur amour. 

Anton Tchekhov (1860–1904) publie en 1886 une première version Des Méfaits du tabac dans La Gazette de Saint Pétersbourg. Il la remaniera plusieurs fois jusqu'à la fin de sa vie, peaufinant ce monologue que nous transformons en un dialogue féroce, pathétique et clownesque entre les époux Nikotine.

Les interprètes :

Alain Bouchet est comédien et intervenant dans des ateliers et des stages de théâtre et de clown à Dijon et Semur-en-Auxois. Il a déjà joué cette pièce de Tchekhov dans la traduction d'Elsa Triolet. Il revient avec une extrême jouissance à ce texte dans cette nouvelle traduction.

Gérard Pichon est pianiste, compositeur, arrangeur, producteur et pédagogue. Il a fondé et dirigé l'école de musique Chorus à Nîmes. Depuis les années 70, il a joué dans de nombreux groupes de pop, rock, blues, jazz, variétés, en concerts, à la télévision et en studios d'enregistrement. Il s’est installé récemment à Semur-en-Auxois, non loin de ses origines.

Le metteur en scène :

Philippe Berling est metteur en scène de théâtre et d'opéra, comédien, pédagogue et auteur. Il a mis en scène plus de cinquante spectacles. Après avoir été l'assistant d'Alain Françon, Jean-Pierre Vincent et Jean-Marie Villégier, il a été artiste associé au Théâtre Granit de Belfort et au Théâtre d'Auxerre, entre autres. Il a dirigé le Théâtre du Peuple de Bussang et codirigé le Théâtre Liberté de Toulon, scène nationale. Il anime actuellement La Structure, sa compagnie professionnelle, basée à Semur-en-Auxois depuis 2016. Pour plus de détails voir son site: www.philippeberling.com

Durée du spectacle : 59 minutes



Critique de Michel Huvet parue sur le blog Dixit le 27 octobre 2017

Tout habitué de la chose théâtrale sait ce que les Méfaits du tabac ont produit comme écoeurements divers : une farce bonne à être jouée par des amateurs de patronage… Un petit tour dans la très improbable salle de l’ancien tribunal semurois et tout a changé d’un seul coup de la baguette magique agitée par trois compères chevronnés, le « clown » Alain Bouchet, le musicien Gérard Pichon et le metteur en scène Philippe Berling.

Sans possibilité de jeux de lumières, rien qu’avec l’utilisation subtile des lieux, sans rideaux ni décors, rien qu’avec le jeu des acteurs, voilà que Tchekhov s’est mis à nous parler comme un auteur du XXI° siècle, Alain Bouchet se défaisant au fil du monologue des masques de Buster Keaton ou de Charlie Chaplin (celui du Kid) et Gérard Pichon se délaissant du travesti pour dire, avec son piano et sa perruque, toute la pesanteur symbolique, ici d’une femme rigide et austère, prof de musique et rectrice de pensionnat, qui pourrait tout aussi bien être un pouvoir politique, tout ce dont le « conférencier du tabac » a sur le cœur.

La farce se fait psychodrame

Alors voilà que la farce se fait psychodrame. Le jeu, la mise en scène, la chorégraphie – oui, ce ballet incroyable entre Ivan Ivanovitch et une mouche est d’une symbolique atrocement révélatrice – se conjuguent pour nous offrir un miroir de tous nos refoulements. Ivan, c’est aussi nous. Et quand le crescendo d’accords pianistiques et de confessions inconscientes est à son terme, Ivan va littéralement exploser – c’est ça, toujours, avec Tchekhov, demandez donc à l’Oncle Vania – et nous faire nous aussi expectorer ces non-dits comme pour une libération bienfaisante.

Il n’y a donc que le théâtre, ici exprimé dans une apparente simplicité scénique, pour parvenir à tant d’émotion. Philippe Berling, sournoisement, sans qu’on ait l’impression qu’il y a mis plus qu’un peu de savoir scénique, a trouvé le chemin qui va de l’acteur au spectateur, et y retourne sans doute, pour le bien de tous. Tchekhov est comblé. Nous aussi.

Michel Huvet (né a Dijon) est réputé pour ses chroniques politiques, ses critiques et ses projets culturels. Au Bien Public, il crée le service culturel. Il est intervenant au Centre de Formation des Journalistes (CFJ-rue du Louvre à Paris), puis à Sciences-Po Est-Europe à Dijon. Huvet est également auteur de nombreux textes et ouvrages de littérature, de poésie, de théâtre, d’essais et de biographies.

Critique de Dominique Bonhoure publiée sur la page du Théâtre dans les Vignes

Un texte de Tchekhov qui tient moins de six pages en « Folio » (n° 6241, à tout hasard !) et pour les spectateurs du Théâtre dans les Vignes, à Cornèze (Aude, 11) une bonne heure de jubilation, ce dimanche de novembre. Nouvelle preuve, s'il en était besoin, que le théâtre, ce n'est pas que du texte.

La mise en scène de Philippe Berling et le travail des deux comédiens, magnifiques d'humanité, nous ont permis de voir un spectacle rare tenant à la fois du mime, du jonglage, de la musique, du chant à l'occasion, de la déclamation bien sûr (c'est une conférence), bref de la comédie mâtinée de cirque, qui nous rappelait à tous que le genre humain est composé de clowns ridicules, pitoyables, émouvants qui semblent se détester mais ne peuvent se passer les uns des autres, à la fois repoussoirs et reflets d'eux-mêmes.

Une grande économie de moyens : un pupitre, une chaise, un piano (vrai ou faux ?), des costumes hors d'âge, et deux visages burinés et maquillés comme des clowns, pour dire l'absurdité d'une vie humaine faite de routine, de faux-semblants, de compromissions, de lâchetés, éclairée néanmoins à la dernière minute (du spectacle) par l'étincelle d'une cigarette partagée. Complicité d'un vieux couple quand l'amour devient tout proche de la haine, mais avec cette pirouette burlesque qui est la marque de fabrique du spectacle.

Mention spéciale au comédien incarnant Mme Nikotine, rôle muet, dont le personnage n'existe dans le texte de Tchekhov que de façon allusive. Il a su faire éclater les fous rires, tant ses mimiques, ses œillades, chaque muscle de son visage exprimaient la mégère pétrie de conventions petites-bourgeoises, pourvue d'une toute mâle autorité sur son vieux mari, qu'elle couve de regards tour à tour protecteurs, indignés, encourageants, doucereux, toujours cocasses et d'une vérité extraordinaire pour refléter les méandres de l'âme humaine.

Bref, on en redemande… Ce spectacle est un chef-d'œuvre d'intelligence, qui nous montre nos insuffisances en nous rassurant. Car il nous rappelle que le théâtre est là pour nous aider à supporter nos faiblesses en riant de nous-mêmes. Tchekhov ne pouvait être mieux servi.


Photos: Philippe Blanc